4. Who is Jean Zeitoun ?
Ils ont bien connu Jean Zeitoun, ont été ses étudiants ou bien ont travaillé avec lui, parfois les deux, ou encore ils l'ont croisé à l'occasion de publications et d'études. Ils sont souvent devenus ses amis. Aujourd’hui ils souhaitent apporter leur éclairage et leur témoignage sur la collaboration qu’ils ont engagée avec Jean Zeitoun, leur lecture rétrospective de ces moments et la façon dont Jean, ses analyses et sa pratique, les ont marqués ou influencés.
Nous publions ici leurs contributions au fil de leur rédaction et nous réjouissons de voir que Jean Zeitoun est toujours dans leur mémoire, qu'il suscite ce désir de continuer à éclairer et faire connaitre son apport dans les différents domaines qui l'ont inspiré et qu’il fait ainsi toujours partie des moments de leur vie.
4.1.2. One objective for Jean Zeitoun: France, a dream beyond the horizon
Dominique Clayssen et Pierre-André Michel poursuivent ici leurs analyses des travaux de recherche de Jean Zeitoun dans le cadre des Centres de Recherches en conception architecturale que celui-ci a dirigés de 1970 à 1990 : MMI – Mathématique, Méthodologies et Informatique (IE- Institut de l’Environnement) et CIMA (Département informatique du Centre d’Etudes et de Recherches en Architecture – CERA) .
Textes réunis et présentés par Dominique Clayssen et Pierre-André Michel
2023-2024
Qui sont-ils ?
Dominique Clayssen est architecte et urbaniste. Partenaire de E.A.I. Espace Architecture International, a travaillé de 1971 à 1992 en tant que chercheur au MMI puis au CIMA dirigé par Jean Zeitoun. Il a été maître de conférence dans les Ecoles d’Architecture de Paris Val de Marne et de Paris Malaquais, il a collaboré à plusieurs revues dont Techniques et Architecture, Zoom, Bulletin de l’IFA.
Il est co-auteur et auteur de recherches pour le CNRS, le Ministère de l’Equipement et du Logement, le Ministère de la Culture ainsi que de plusieurs publications : Les Nouvelles Technologies de l’Image, avec Jean Zeitoun, Jean Prouvé, l’Idée Constructive aux Editions Dunod, Jardins secrets de Paris aux Editions du Moniteur Patrice Richard photographe, La Programmation Créative avec Philippe Meurice Direction de l’Architecture.
Commissaire de plusieurs expositions sur le thème du numérique et de l’architecture et de l’art.
Pierre-André Michel a suivi en parallèle des études de Sociologie à Paris I Sorbonne et le séminaire d’Ethnopsychiatrie de Georges Devereux à l’École Pratique des Hautes Études. Inscrit en doctorat de Sociologie urbaine il rejoint, dès son DEA, l’équipe de Jean Zeitoun en 1974 à l’Institut de l’Environnement et participe aux travaux du MMI puis du CIMA jusqu’en 1979, année de son arrivée chez Bordas comme éditeur en Architecture et urbanisme au Département universitaire et professionnel. Nommé responsable du secteur Lettres et Sciences humaines de Dunod, filiale de Bordas, il prend en charge les Classiques Garnier puis les éditions Privat, et assurera de 2006 à 2015 la Direction générale de Dunod et Armand Colin au sein d’Hachette Lagardère.
Sommaire de la contribution 2024-I
La recherche selon Jean Zeitoun
Chapitre II - Les années 1980.
II.1 Méthodologie et théorie
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L’architecture est un champ de pratiques
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Le CIMA, une organisation de recherche multipolaire
II.2 La conception assistée par ordinateur
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Du dessin assisté à la CAO
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Les nouveaux objets de conception
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La CAO. Création architecturale et informatique
II.3 La programmation architecturale
II.4 Les images de synthèse
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La décennie image.
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L’image informatique, continuité ou rupture
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La physique de l’image
II.5 Réorganisation du CIMA. Les derniers projets
Annexes
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Publications
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Les Bulletins IMA
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Expérimentations
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La recherche-action selon Kurt Lewin
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A propos de Playtime : la banalisation des espaces construits selon Jacques Tati
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Projet 91 d’un nouveau centre de recherches (CIMA 1991)
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CHAPITRE II - Les Années 1980
Dans le chapitre précédent consacré aux années 70’ nous avons insisté sur l’objectif poursuivi par Jean Zeitoun durant la conception et l’animation de ses centres de recherche : construire dans le domaine de l’analyse de l’espace et des systèmes architecturaux une théorie des méthodes, ou encore une théorie de la pratique, c’est-à-dire réfléchir aux conditions de production d’une théorie de la recherche.
Ont ainsi fait l’objet d’un travail permanent d’élaboration et d’élucidation les concepts et catégories clés suivants:
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opératoire et opérationnel,
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modèle et modélisation,
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instrumentation,
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objet architectural et objet construit...
Développant les acquis des années 70’ et intégrant l’interactivité permise par ‘’l’explosion’’ des systèmes informatiques dans le déroulé des projets, les travaux du CIMA vont davantage encore s’écarter de la conception dominante de l’architecture, de son rôle et de sa place dans la société, conception caractérisée par le clivage entre d’un côté l’enseignement des UPA dans la ligne de l’École des Beaux-Arts — l’ENSBA, fidèle à la transmission des modèles classiques — et de l’autre les pratiques des multiples intervenants — maîtres d’œuvre, agences d’architectes et bureaux d’études, et maîtres d’ouvrages publics ou privés, agences et administrations nationales, régionales ou départementales..., selon l’échelle du programme.
II.1 Méthodologie et théorie
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L’architecture est un champ de pratiques
Les années 80 signent pour nombre de ces intervenants l’abandon des théories de l’architecture — avec de notables exceptions comme les travaux de Philippe Boudon proposant une Architecturologie[1] — et le recours à des modèles négociés, trait d’union entre un courant architectural et une commande, au gré des concours d’architecture et des appels d'offres... Mais la question ne se pose pas pour Jean Zeitoun, l’architecture théorisée relevant selon lui d’approches disciplinaires — esthétique, sociologie, économie, technologie — voire de leur combinaison comme ce fut le cas après 68 et durant la décennie 70 de la théorie marxiste appliquée à l’espace construit. Il poursuivra durant toutes les années 80’ non pas une « nouvelle » théorie de l’architecture mais une analyse critique des théories de l’espace, c’est-à-dire des lieux, ceux de la production et de la reproduction des objets construits, dans la ville et le territoire.
Cette analyse critique est incluse dans sa problématique de « l’univers de la conception architecturale », la mise en place d’un système conceptuel qui relève bien d’une théorie de la méthode plutôt que d’une théorie de l’architecture.
Jean Zeitoun a proposé dès les années 70’ deux hypothèses qui guideront son analyse de l'architecture. En premier lieu, l’architecture est un champ de pratiques non théorisées, et ensuite, conception et production de l’architecture sont des domaines séparés dans les sociétés industrielles. Ainsi devient-il possible de mieux comprendre la technicisation des problèmes de conception et d’en préciser les limites. Rappelons ici la définition clé de la méthodologie donnée par Jean Zeitoun en 1972 :
« Il faut tout d'abord définir ce que l'on entendra par méthodologie. Et tout de suite préciser qu'il ne s'agit pas d'une panoplie de techniques de calcul, de représentation, de manipulations diverses. Il s'agit bien de l'examen de la production et de l’emploi de méthodes dans le champ de l'instrumentation de l'architecte (...) . En un sens, la méthodologie devient un moyen de faire valoir des approches théoriques en architecture[2].”
Cette hypothèse se veut interrogative et ouverte à une prospective en architecture. Pour Jean Zeitoun, comme nous le développerons plus loin en traitant de la programmation, le « paysage futur », les conditions de son implantation et de son fonctionnement dans le cadre d’un développement à moyen ou long terme, conditionnent en amont les études du projet.
C’est parce que la méthodologie implique également un travail de production et d'expérimentation de concepts opératoires, concepts utilisés dans les différentes étapes du processus de conception, qu’explorer la méthodologie c’est la considérer comme un outil de création, outil indispensable qui permet d'élaborer des solutions innovantes et efficaces aux problèmes architecturaux. En cela la méthodologie est un moyen de faire valoir des approches théoriques en architecture comme par exemple les travaux en « stratégie de résolution » (manière de poser et de résoudre des problèmes architecturaux) ou la comparaison des modèles d’organisation spatiale et de programmation architecturale, ou encore la formalisation et l'écriture de moments du processus de conception. Ces approches théoriques contribuent à la création d’œuvres architecturales novatrices — du fait qu’elles n’étaient pas réalisables auparavant en l’absence notamment d’instrumentation informatique — et donc esthétiquement intéressantes.
[1] Cf. Introduction à l’architecturologie (Dunod, 1992), Enseigner la conception architecturale. Cours d’architecturologie (Éditions de la Villette, 1994), Sur l’espace architectural : essai d’épistémologie de l’architecture (Parenthèses, 2003).
[2] Jean Zeitoun: « A propos de la méthodologie », Bulletin MMI, n°2, Institut de l’Environnement, mars 1974. Cette définition de la méthodologie posée dès les premières années du Centre MMI est au fondement de tous les travaux des décennies suivantes.
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Le CIMA une organisation de recherche multipolaire
Au tournant des années 80, Jean Zeitoun dirige le CIMA , département du C.E.R.A. succédant lui-même à l’Institut de l’Environnement [3] dont la mission était de réunir les arts, le design, l’architecture, la sociologie, l’économie..., et de tenter, comme l’écrit Monique Eleb[4], de déjouer les prérogatives d’une discipline. Cet Institut créé dans l’esprit du Bauhaus « voulait construire de nouvelles approches pour répondre aux enjeux d'un environnement sensible selon l’expression d’André Malraux. » Monique Eleb poursuit : « ll y avait l’idée que (dans ce lieu) les autres allaient vous apprendre des choses que vous ne saviez pas, qu’ils allaient nourrir et faire évoluer votre propre spécialité. »
La recherche architecturale, dont l'institutionnalisation date de l’année 1971 simultanément à la création de l’Institut de l’environnement et du MMI, est pour Jean Zeitoun :
« (...un domaine qui ) à part un éveil aujourd'hui très riche dans sa diversité et dans ses problématiques, n’a guère de tradition véritable (...)
Aujourd'hui, nous sommes très probablement dans une période de jeunesse ou de rupture dans le domaine de la conception architecturale [5]. »
La caractéristique de la recherche universitaire est d’établir des réseaux d’équipes sur des objets d’étude au-delà des proximités géographiques, là où n’importe où dans le monde un laboratoire travaille sur un même objet. Dès sa mise en place, le MMI est déjà en liaison avec des équipes de recherche de Grande Bretagne, d’Italie, d’Allemagne, d’Amérique du sud, du Canada, d’URSS, des Etats-Unis. Il est évidemment en relation en France, avec le Centre Mondial de l’informatique, fondé par J.J. Servan Schreiber et N. Negroponte[6], et avec des institutions telle que l’INRIA, les Universités de Vincennes-Paris VIII et d’Orsay, des écoles d’architecture et de design, des organisations professionnelles....
Pour Jean Zeitoun, l'organisation interdisciplinaire de l’équipe de recherche, reliée par ses membres à un réseau international, doit perdurer[7] quels que soient les aléas d’une politique locale qui se replie sur la défense de la discipline architecturale, son histoire et ses théories. Cette organisation multipolaire a été décidée dès l’origine pour être en accord avec l’objet de la recherche du CIMA, la conception architecturale.
[3] Institut de l’environnement : http://www.rosab.net/fr/la-situation-francaise-les/
[4] Monique Eleb http://www.rosab.net/fr/la-situation-francaise-les/l-institut-de-l-environnement-une.html
[5] Jean Zeitoun, Essai sur l’instrumentation en conception architecturale, Thèse de Doctorat d'État, Présentation, p.4, Université de Paris VIII, Département d'Urbanisme, Juin 1978.
[6] https://fr.wikipedia.org/wiki/Centre_mondial_informatique_et_ressource_humaine
[7] L'organisation interdisciplinaire de l’équipe de recherche, reliée par ses membres à son réseau international, perdurera jusqu’à la dissolution du CIMA en 1995.
II.2. La conception assistée par ordinateur
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Du dessin assisté à la conception assistée par ordinateur
Depuis les années soixante, de nombreux centres de recherches sur les nouvelles technologies et l'architecture ont été créés dans le monde. Ce sont les échanges avec ces laboratoires et les avancées de l’instrumentation informatique qui ont fait évoluer les études du CIMA à la fin des années 70’ [8). Rappelons que dès 1971 les missions du département informatique et méthodologie de l’Institut de l’environnement, le centre MMI, auquel Jean Zeitoun collabore, comporte deux volets principaux :
- Assurer un service pédagogique[9],
- Promouvoir l’application des technologies informatiques dans la pratique architecturale [10].
[8] Quelques personnalités du réseau CIMA : Alexander Tzonis université Harvard Delft, Philippe Quéau, directeur de recherche à l'Institut national de l'audiovisuel (INA) de 1977 à 1996, Paolo Fabbri, sémioticien italien, professeur à l'université de Bologne, Nicholas Negroponte fondateur du Médialab MIT, Paul Virilio, Paul Bradford auteur Oulipo, la filière A.T.I. (Arts et Technologie de l’Image) de Paris VIII avec le professeur Raymond Couchot fondateur et directeur du département A.T.I, et Michel Bret, professeur détaché au CIMA...
[9] Extrait du rapport MMI 1978 : Le nombre d’étudiants fréquentant régulièrement le Centre de calcul de la rue Érasme est d’environ huit cents par semaine. L’initiation à l’informatique se pratique avec des programmes de calcul de structure, de simulation spatiale. Des services à des écoles d’architecture éloignées sont réalisés par connexion téléphonique.
[10] C’est surtout dans les décennies suivantes que les projets impliquant les chercheurs du CIMA se multiplieront. Citons en 1984 le Concours du C.N.T.S., avec l’agence Espace Architecture , en 1985 La Serva Padrona, création pour FR3 de la première scénographie virtuelle pour l’opéra télévisé de J.-B. Pergolesi, images numériques de Sabine Porada et Michel Bret pour le CIMA, réalisateur Jacques Barsac ; citons également la programmation en 1991 du projet Métafort d’Aubervilliers avec Pierre Musso, et en 1992 la participation au Concours Marne la Vallée, architecte A. Sarfati...
Le rapport d’activités 1978 [11] présente le bilan de plusieurs années de travail orientées par la pédagogie et la recherche selon quatre activités principales que nous avons détaillées au chapitre premier, à l’exception de la première qui ne devient décisive que dans la décennie suivante :
- Service informatique
- Objets et groupe de recherche
- Conférences et séminaires
- Publications.
Dans les années 80’ les objets de recherches vont progressivement se recentrer sur trois domaines : la phase textuelle et schématique du processus de conception, l’image de synthèse et enfin l’instrumentation informatique nécessaire aux deux premiers points [12]. Plus précisément, la D.A.O., Dessin Assisté par Ordinateur devient la C.A.O., Conception Assistée par Ordinateur. Le passage se fait de l’image vectorielle au trait, à l’image de synthèse, vidéo ou pixel, qui deviendra plus tard la réalité virtuelle.
La rupture est importante avec les outils de la décennie précédente. Cette évolution de l'instrumentation informatique, produite par la nouvelle puissance du matériel change la donne, tant pour les laboratoires de recherche et l’enseignement que pour les professionnels. L’arrivée des micro-ordinateurs donne à tous l’accès aux outils informatiques: architectes et professionnels de la conception architecturale, administration, maîtrise d’ouvrage, ingénieurs, documentalistes, cartographes... En quelques années, professionnels et écoles d’architecture vont utiliser le même type d’instrumentation informatique dans le monde entier.
Jean Zeitoun tient à différencier la recherche en instrumentation informatique de la production des logiciels du marché. Du moins quant à leurs objectifs. Il écrit ainsi dans l’article de 1987 consacré à la C.A.O. :
« (si la C.A.O.) c’est tout ce qui peut apporter une aide à l’architecte via l’informatique (...) la recherche s’intéresse peu à l’automatisation de toutes les tâches de l’architecte (qui permet) de lui rendre la vie plus facile… les prestations plus rentables ...(Son rôle) est d’accompagner un processus mental.»
Cette distinction n’est évidemment pas une mise en opposition ; si le temps dégagé à l’ordinateur « ouvre la possibilité de mieux travailler», le logiciel contribue à « une meilleure conception » du projet et « l'automatisation de certaines tâches peut être intégrée aux problématiques ». Jean Zeitoun résume la spécificité de la recherche en C.A.O. en notant qu'elle comporte
« (...) une composante générale, la modélisation, et une composante particulière, l'appropriation. Aussi dirons-nous qu'il reste tout un travail d'expérimentation et de bricolage à entreprendre et qu'à l'occasion de cette nouvelle instrumentation les architectes auront à renouer avec la technique et à lui donner une plus-value créatrice. »
[11] Rapport d’activité du MMI, chapitre « Les missions », mai 1978. Comme la plupart des documents cités non publiés, ce rapport est consultable aux archives déposées à l’ENSPS, au 3 quai Panhard et Levasseur, Paris 13e .
[12] Cf. Bulletin de l' IFA, « C.A.O. ? », 1987 .
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Les nouveaux objets de la conception
Selon Jean Zeitoun, l'analyse critique des connaissances, l’exploration du rôle de l'architecture et la modélisation sont les objets d’une recherche interdisciplinaire nécessaire pour apporter des réponses à un nouveau processus de conception.
« (...) Nous avons analysé l'importance de la formalisation et de la modélisation dans la conception architecturale, qui sont devenues des outils indispensables pour la gestion de la complexité du projet et la communication entre les différents acteurs du projet. Enfin, nous avons examiné les implications de l'usage des technologies numériques dans la conception architecturale, qui ont ouvert de nouvelles perspectives en termes de formes et de processus de fabrication, mais qui soulèvent également des questions éthiques et environnementales. Notre recherche a ainsi mis en lumière les défis et les opportunités de la transformation en cours de la conception architecturale, en proposant une réflexion critique sur les pratiques et les outils actuels, et en ouvrant des pistes pour une recherche future dans ce domaine [13]. »
Les objets contemporains de la conception architecturale ne peuvent plus être générés par des codes archétypiques et des règles de styles, académiques ou modernistes. Ils ne sont pas pour autant exclus de cette approche si l’on distingue ce qui permet de générer un objet construit de ce qui permet de « l’habiller » : les archétypes, les styles relèvent de l’habillage de l’objet construit, ce que démontrent par exemple les réalisations du mouvement post-moderne aux États-Unis[14] ou de manière plus agressive, à Paris, le principe de sauvegarde des façades haussmanniennes des immeubles ‘’reprogrammés’’ de l’avenue de l’Opéra. Les cadres produits par l’évolution de la société industrielle contraignent la conception architecturale au changement.
Ainsi s’installe dans les années 80 la complexification du processus de conception avec l'émergence d’un environnement professionnel d’experts et de spécialistes dont le nombre se multiplie à chacun des problèmes que se posent avec justesse les décideurs lors de la production et de l’aménagement du cadre bâti, cela tant au niveau global — économies d’énergies, inclusion des populations handicapées, sécurité incendie... — qu’aux niveaux sectoriels — mutation du statut des musées, transformation des espaces de travail avec les équipements informatiques, conditions des implantations industrielles en site urbain, etc.
Ces nouveaux programmes en réponse à des problématiques sociétales — l’habitat, la culture, l’industrie, l’enseignement, la santé etc. — ne peuvent plus être traités par une conception de l’architecture fondée sur des archétypes architecturaux, la reproduction de modèles dans l’acception dixneuvièmiste du terme. Citons par exemple les programmes symboliques des tribunaux, construits selon l’archétype du temple romain dans tous les chefs-lieux de France, ou la construction de palais de l'industrie dans les territoires industriels, ou encore les grands musées nationaux utilisant les vastes salles des monuments disponibles — palais, châteaux, Hôtels historiques — pour y installer les œuvres sans autre intervention dans l’espace d’exposition[15]. Le mouvement d’architecture moderne, qui prime au XXe siècle, à l’opposé des Beaux-Arts avait intégré ces nouveaux programmes comme relevant de la conception architecturale moderniste, mais l’instrumentation de conception n’avait fondamentalement pas évolué. Règles de composition et écritures définissaient une grammaire spatiale, l’architecture moderne, applicable à tous les types de projets.
[13] Jean Zeitoun, Thèse, op. cit. p.25.
[14] Charles Jenks, l’Architecture post-moderne (1977), tr. fr. : coédition Academy Editions et Denoël, Paris, 1979.
[15] L’histoire du Louvre pourrait se lire comme exemplaire d’une suite de programmations symboliques en termes de muséologie ; cependant à compter des années 80’ les installations de véritables espaces d’exposition sont conformes aux programmes de mise en valeur des œuvres. Ces années généralisent le principe d’un espace muséal moderne conçu pour être plus interactif, éducatif et accessible, tout en préservant l'intégrité de l'art exposé et de l'histoire présentée (infra, les paragraphes dédiés à la programmation architecturale).
Dans les années 80 une critique de l’architecture moderne s’est organisée dans tous les domaines : théories architecturales, urbanisme, axes de la recherche en architecture, programmation architecturale naissante. Dans son Histoire de l’architecture moderne, actualisée durant les années 80’ — et jusqu’en 87, date de l’édition italienne mise à jour — Leonardo Benevolo pour rendre compte de la critique du mouvement moderne et de sa généralisation insiste sur le développement accéléré d’une demande économique et sociale de plus en plus complexe :
« Un modèle qui opposerait un répertoire moderne à un répertoire traditionnel, ou simplement un répertoire à un autre, ne saurait être pris en considération par un marché qui, pour faire face aux sollicitations de la demande, offre simultanément ou successivement tous les répertoires possibles. Cette multiplicité de choix rend inévitable l’éclectisme. Elle s’étend, durant les années 70 et 80, du monde des mass media à celui des biens de consommation et à celui de presque tous les produits industriels. Elle s’exerce aussi largement, comme nous allons le voir, sur l’architecture[16]. »
Avec cette notion « d’inévitable éclectisme », l’auteur développe son analyse au niveau de l’habillage d’un projet architectural ou urbain, et dans le champ des répertoires de style et de la théorie des styles en architecture. Il n’en reste pas moins que cette analyse des réalisations des années 60-80 est totalement pertinente et correspond à celle développée au CIMA quant au déficit des archétypes architecturaux face à la multiplication des nouveaux programmes. Là où Leonardo Benevolo dénonce l’insuffisance des rivalités entre répertoires de styles, les recherches menées au CIMA approfondissent le décalage conceptuel entre d’une part, la programmation et la conception dans la génération des espaces architecturaux, et d’autre part, l’habillage des lieux programmés.
Depuis lors, ni la composition classique ni les théories de l’architecture moderne n’ont pu répondre par une instrumentation fondée sur une écriture normative aux programmes contemporains malgré de nombreuses résistances et quelques tentatives théoriques, par exemple le post-modernisme ou le néo-urbanisme essentiellement limité aux Etats-Unis [17].
[16] Histoire de l’Architecture moderne, Tome 4 : L’inévitable éclectisme (1960-1980), Paris, Dunod, 1988, p.86.
[17] Les théories de l’architecture moderne dominent l’architecture mondiale jusque dans les années 60’ . Au-delà, et surtout à partir de la décennie 70, plusieurs courants théoriques se constituent : il n’y a plus une méthode unique de conception architecturale et urbaine qui supporterait implicitement une majeure partie de la programmation d’un projet architectural ou urbain. Cette évolution décisive est illustrée dans le dernier volume de l’Histoire de l’architecture moderne de Léonardo Benevolo : L’inévitable éclectisme, 1960-1980, op.cit..
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La C.A.O. Création architecturale et informatique
L'utilisation des ordinateurs personnels dans les agences d'architecture commence au début des années 1980. L’architecture et le secteur du bâtiment présentent à cet égard un retard par rapport aux autres secteurs, retard dû au fait que durant cette décennie la contestation de la C.A.O. est assez générale, en lien avec une revendication de sauvegarde de la créativité nécessaire au concepteur. La créativité est alors supposée encouragée par les outils traditionnels, le crayon, l’encre de chine et la planche à dessin. Pour comprendre ces critiques il faut souligner que l’usage de l’informatique relativement banalisé n’est pas nécessairement, comme il le sera un peu plus tard, celui de la C.A.O.
Rappelons que c’est seulement en 1990 que l’une des grandes sociétés industrielles française d’aéronautique, a choisi de supprimer les planches à dessin dans son bureau d’étude pour les remplacer par des écrans de C.A.O. Et ce n’est qu’à la fin des années 90’ sous l’impulsion de la communication par l’Internet et le web que s’est généralisé, aussi bien dans les espaces domestiques que dans les lieux de travail et d’enseignement, l’usage de l’informatique en architecture.
Dans les années 80’ les agences d’architecture peuvent encore choisir d'utiliser l'informatique pour la bureautique et la gestion des données ou pour compléter le travail à la table de dessin — c’est le Dessin Assisté par Ordinateur D.A.O 2D — ou pour informatiser tous les dessins de plans : la C.A.O. 3D.
En 1986, la revue Internationale d’architecture le Carré bleu publie un numéro spécial « Création architecturale et informatique ? » . Le point d’interrogation est significatif d’une époque : ce numéro spécial est édité quinze années après le numéro spécial de la revue Techniques et Architecture, début des années 70’ [18], et simultanément au Bulletin de l'IFA de 1987 [19] titré « C.A.O.? ».
Si aujourd’hui le débat est clos, c’est parce que tout le monde utilise le numérique comme la C.A.O., et que la créativité est revendiquée par tous, que ce soit avec l’instrumentation informatique ou contre et donc sans instrumentation numérique.
En 1986 participant au débat sur la créativité, Jean Zeitoun écrit dans le Carré Bleu un article intitulé : “ Quelle informatique et quelle architecture ?” Il commence par une citation de Le Corbusier qui écrivait en 1926 que faire un plan implique d'avoir des idées et de les ordonner de manière intelligible, exécutable et communicable. Il confirme que cette proposition de Le Corbusier est toujours valable avec les instruments informatiques si l’on entend par “plan” un support d’écriture, de codification et de planification en architecture. Il décrit l’introduction de cette nouvelle instrumentation comme une bataille à mener pour rallier les architectes. Durant cette décennie, la difficulté sera de les convaincre que cette révolution de l'écriture qu'est la Conception Assistée par Ordinateur est plus qu'une simple robotisation du travail de conception. C'est une forme d'expression et de traitement qui accompagne la mutation de notre société de production vers la société de communication. Tous les secteurs de la communication et de la production sont réinvestis par cette nouvelle instrumentation, l’architecture comme les autres domaines de la production.
L'utilisation de la conception assistée par ordinateur donne au plan une dimension et une réalité qu'il n'avait jamais eues auparavant. Il souligne que le plan est un graphe rassemblant tous les outils de conception, de traitement et de communication de l'architecte. Les nouvelles technologies ont ainsi un impact sur la façon dont les architectes travaillent et la façon dont l'architecture est produite.
Il existe de nombreuses questions sur les nouvelles pratiques et approches de l'architecture qui peuvent être envisagées avec l'utilisation de la C.A.O. De ces pratiques nous en citerons deux qui illustrent tout particulièrement les nouveaux objets de la conception architecturale ainsi que l’approche pratiquée au CIMA en liaison avec de nombreuses organisations, professionnelles ou d’enseignement :
- La pratique de l’espace virtuel pour explorer un territoire, développée par l’architecte Nicolas Negroponte, directeur du Medialab au M.I.T. Cette recherche se retrouve, aujourd’hui, mondialement banalisée par l’application Google Map.
- La pratique de l’interaction — on parle aussi de participation — entre les futurs usagers et les maîtres d’ouvrage[20], à propos d’un projet de construction ou d’aménagement de lieux. Le projet de logements étudiants à Louvain la Neuve fut sans doute, en 1972, la première approche réalisée avec une instrumentation de C.A.O. par l’architecte belge Lucien Kroll.
[18] « Informatique et Architecture », numéro spécial de la revue Techniques et Architecture , 1971. Dossier réalisé par Dominique Clayssen.
[19] Bulletin de l’Institut Français d’Architecture (IFA), numéro spécial « C.A.O.? », réalisé par Dominique Clayssen, Marie-Christine Fromont , Anne Boffety., avril 1987 .
[20] La pratique de l’interaction a été développée aux États-Unis durant les années 60’ à partir des travaux de Paul Davidoff fondateurs de l’Advocacy Planning. Ce n’est pas un hasard si ce mouvement de planification urbaine a fait l’objet de deux publications dans le n°5 de la revue du MMI consacré aux « Pratiques théoriques et stratégies spatiales en économie urbaine » (1976) : Paul Davidoff, « Advocacy and Pluralism in Planning » (1965), tr.fr. « Planification pluraliste et planification par plaidoyer », pp.49-65 ; Jean-Louis Sarbib, « L’Advocacy Planning et les principales théories de la planification urbaine aux États-Unis », pp.36-47 (in : Notes Méthodologiques en architecture et en urbanisme, n°5, op.cit. ; se reporter à l’ annexe du chapitre consacré aux années 70’).
L’article de 1986 publié dans le Carré bleu suggère que la bataille pour conquérir ce nouvel ensemble d'outils est déjà en cours. Imaginant les développements futurs, Jean Zeitoun envisage que la C.A.O. donnera aux plans un nouveau degré de dimensionnalité et de réalité — il faudrait dire aujourd’hui de “réalité virtuelle”. Envisageant les implications de ces nouvelles technologies pour l'architecture, il questionne quels types de pratiques informatiques et architecturales sont possibles. Et alors que les médias décrivent souvent les nouvelles technologies comme ayant la capacité d'éliminer complètement les anciennes pratiques, il soutient que les systèmes informatiques, comprenant à la fois du matériel et des logiciels, permettent aux architectes de dessiner, modéliser, calculer et traiter des formes tridimensionnelles dans le prolongement des activités de la planche à dessin.
Mais, pour lui, l’avantage principal de la C.A.O., en 1986, est de faciliter la production et l'exploration de modèles. Par exemple, on peut choisir parmi une collection de modèles que l’on aura préconstruits, modèles qui, de plus, peuvent être manipulés facilement dans tous les angles et dimensions possibles. Les outils de C.A.O. permettent aux concepteurs de simuler diverses conditions environnementales et expériences sensorielles telles que la couleur, la texture, la température et le son, pour les vues intérieures et extérieures. Jean Zeitoun soutient qu'avec la capacité de simuler autant de conditions différentes, l'architecture devient une sculpture transformable à l'infini.
Enfin, utilisant des techniques de conception assistée par ordinateur, les concepteurs peuvent extraire des plans d'exécution et évaluer leur faisabilité technique et économique. Bien qu'en 1986 il existe déjà de nombreux petits systèmes de C.A.O. disponibles sur le marché, ils restent limités et sont souvent conçus pour être adaptés à une approche spécifique de l'architecture. Jean Zeitoun suggère que l'enjeu fondamental est d'identifier les bénéfices potentiels de ces technologies pour la pratique future de l'architecture et la transformation de la production architecturale. Au fur et à mesure que les besoins et les utilisateurs évoluent, il lui semble évident que les outils de C.A.O. devront également évoluer pour y répondre.
II.3 La programmation architecturale
Durant les années 80’, le CIMA poursuit études et recherches sur la méthodologie de la conception architecturale et son évolution vers le numérique. Ce domaine correspond à celui des design methods, objets d’études de la plupart des centres de recherche et d'enseignement en Europe et aux États-Unis, études entreprises dès les années 60’[21].
En France, les design methods n’apparaissent qu’avec la période des années 80-90 marquée par des changements importants dans les méthodes de conception, provoqués par trois logiques :
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le progrès des technologies informatiques et l'évolution induite des usages,
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l’évolution des projets culturels et des pratiques sociales,
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l’extension du domaine de la conception architecturale dans sa phase amont celle de la définition du programme.
La programmation est un terme nouveau qui met en valeur une étape spécifique, et une nouvelle profession exercée par des programmistes. L'introduction de la conception assistée par ordinateur, l'accent mis sur les économies d’énergie, l’environnement, la recherche de nouveaux modèles pour l’industrialisation du bâtiment, l’émergence des lieux de travail relevant de la conception architecturale..., tout cela interroge et bouleverse les méthodes traditionnelles en amont de la conception du projet.
Dans sa thèse, Jean Zeitoun soulignait l’importance des conditions nouvelles de la conception architecturale et de son extension à de nouveaux domaines[22]. Et c’est cet objectif affirmé par Jean Zeitoun de faire sortir la conception architecturale de son cadre strictement opérationnel (celui de la résolution des problèmes de création et d’aménagement des espaces construits), qui est à l’origine de l’isolement du CIMA. Séparé des autres pôles qui constituaient l'Institut de l’Environnement puis le CERA, et devenu une unité de recherche pour l’enseignement, il manquait à ses études numériques l’environnement des autres disciplines, histoire et théorie, sciences sociales, art, documentation..., c’est-à-dire ce contexte nécessaire d’une interdisciplinarité qui avait permis d’enrichir la réflexion « Méthodologie et Informatique » au temps du centre MMI.
Pour pallier ce manque, Jean Zeitoun va créer sinon une rupture du moins un fort infléchissement dans les objectifs du CIMA[23]. Il regroupe une partie des études dans un cadre qu’il nomme de ”recherche-action”[24] en référence aux travaux de Kurt Lewin et dont le but est de combler le fossé entre la théorie et la pratique de la conception architecturale [25]. Dans cette nouvelle organisation, le CIMA réunit des partenaires académiques, des chercheurs et des professionnels autour d'un espace partagé où l'informatique est utilisée pour la programmation architecturale et urbaine. Les membres du CIMA participent ainsi à des études de conception-programmation et créent une instrumentation numérique spécifique à ce processus , également dans un cadre professionnel comme les concours d’architecture. Plusieurs types d'action sont définis : des recherches appliquée et expérimentales sur les technologies hypertextes, des espaces virtuels de travail de groupe pour la programmation et enfin des ateliers mensuels organisés autour d’analyses approfondies des pratiques.
Dans la phase de conception architecturale prise spécifiquement comme objet d’étude, la programmation architecturale — terme nouveau appliqué à une démarche séculaire — traite de toutes les opérations préalables au projet pour aboutir à la définition du document-programme par le maître de l’ouvrage ou son représentant. Plus tard la programmation architecturale et urbaine accompagnera souvent l’ensemble du projet avec pour mission de contrôler l’adéquation du projet au programme. Mais dès 1977, la démarche est
officialisée pour les constructions publiques : une institution, la M.I.Q.C.P. est créée qui associe programmation architecturale et qualité architecturale[26].
[21] Voir par exemple Eastman C. M., 1969, “Cognitive processes and ill-defined problems: A case study from design”, Proceedings of the International Joint Conference on Artificial Intelligence, Eds Walker D. E., Norton L. M. (MITRE Corporation, Washington, DC), pp. 669–690 ; Eastman C. M., 1970, “On the analysis of intuitive design processes”, in : Emerging Methods in Environmental Design and Planning, Ed. Moore G. T. (MIT Press, Cambridge, Mass.), pp. 21–37. Voir aussi le n°6 des Notes méthodologiques en architecture et en urbanisme, (op.cit.), titré « Méthodologie du projet et pédagogie », en particulier les articles de Eastman, « Sur l’analyse des processus intuitifs de conception », et de Madeleine Arnold, « L’insertion de la méthodologie dans l’enseignement de l’architecture en Grande Bretagne et en Eire ».
[22] Essai sur l’instrumentation en conception architecturale, chapitre 1, § « L’extension de la pratique architecturale », p.21.
[23] Cf. Sabine et Mickael Porada : « Fin de l’approche purement fonctionnelle en C.A.O. », IMA n°2 , janvier 1981.
[24] Cf. Michèle Catroux : Introduction à la recherche-action : modalités d’une démarche théorique centrée sur la pratique, https://doi.org/10.4000/apliut.4276. Open edition, pp. 8-20. Où il est montré que cette méthodologie est destinée à avoir des retombées autant dans la pratique que dans la théorie. Voir aussi infra, Annexe B : « K. Lewin et la recherche-action».
[25] Thèse Jean Zeitoun , chapitre 2 : « La production architecturale et son jeu », pp.41 à 71 .
[26] La Mission Interministérielle pour la Qualité des Constructions Publiques, M.I.Q.C.P., a été créée pour rechercher et promouvoir les conditions d’une production de qualité dans le secteur public. Cette exigence de qualité est venue mettre un terme à une période de construction où l’urgence des besoins quantitatifs en équipements avait permis de justifier la banalité, voire la médiocrité des réalisations. La création de la Mission accompagne la promulgation de la loi du 3 janvier 1977 qui définit l’architecture comme une expression de la culture et la déclare d’intérêt public.
Dans la société post-industrielle, la programmation devient un élément essentiel du processus de conception, exercée par des programmistes issus de toutes les professions contribuant au projet d’architecture : maîtrise de l’ouvrage, architecte, ingénieur, économiste, juriste, etc. La programmation rassemble et analyse les informations sur le projet d’architecture afin de répondre à l’éventail des besoins incluant un coût de réalisation conforme aux objectifs définis. La complexité des études de cette phase évolue en fonction de la nature du site à concevoir et de la complexité du projet en termes d’usages, de fonctionnement, d’échelle..., et enfin d’enjeux architecturaux. Dans la pratique, le programme architectural agrège plusieurs programmes selon les expertises nécessaires dans cette phase initiale du projet. Une programmation architecturale doit assurer la collecte et la réunion des informations sur le coût global du projet, les règlements urbains et les contraintes, les accès et le site, les utilités et leurs techniques, le système constructif, l’organisation fonctionnelle des usages, les différents codes symboliques possibles....
C’est précisément le constat de la diversité et de la complexité des programmes de l’ère post-industrielle qui a conduit, nous l’avons vu, Léonardo Benevolo à caractériser « l’inévitable éclectisme de l’architecture moderne », l’opposition et le mixage des répertoires de styles étant censés répondre aux nouvelles exigences des décideurs et des planificateurs, privés ou étatiques.
Cette phase de programmation était jusqu'alors très simplifiée, voire réduite à l’énoncé du type de bâtiment — grand ensemble, villa, école, poste, hôpital... — et à un bref descriptif du programme accompagnée des surfaces nécessaires aux différents locaux. Jusqu’aux années 60’, la majeure partie des programmes énoncés évoluent peu sur une longue durée. La majorité des données à rassembler pour élaborer un programme sont connues : le savoir-faire et les connaissances locales sur les techniques, les usages et le fonctionnement des activités réduisent le recueil des données à l’essentiel. Le bâtiment du même type dans la même ville ou le savoir-faire de l’entreprise suffisent à établir des plans avec un minimum d'informations.
C’est ce que suggère une histoire de l’architecture fondée sur celle des typologies de styles architecturaux par exemple les styles grecs, romains, gothique, renaissance, classique, baroque..., et moderne ! Chaque territoire se différencie par des spécificités régionales du style principal d’une grande région : on expose ou on dessine le baroque italien ou espagnol, le style basque, le méridional, etc. [27]. Les styles ne prennent en compte que les programmes architectoniques, c'est-à-dire la composition spatiale des volumes, les éléments d’architecture et les codes symboliques avec leurs systèmes constructifs[28]. Au cours du XIXe siècle apparaîtront de nouveaux programmes comme les gares, les usines, les logements sociaux, etc., programmes que les théoriciens de l’École des Beaux-Arts rejetteront hors de la compétence de l’architecte laissant la place aux ingénieurs praticiens[29].
Une autre méthode pour réduire l’étendue de la phase de programmation, très utilisée au XIXe siècle, est la conception de modèles architecturaux types : palais de justice, hôpitaux, postes, usines sont modélisés, standardisés pour être projetés et construits avec une programmation réduite à sa partie architectonique. C’est l’architecte dans son projet qui adapte l’objet construit à l’échelle et au site choisi. Sur un modèle type sont prévus, l’organisation des volumes de chaque fonction, les codes symboliques pour l'ensemble des éléments d’architecture. Par exemple, c’est ainsi qu’est organisée la conception architecturale des immeubles haussmanniens au XIXe siècle [30] — objets de nombreuses critiques de personnalités du monde artistique et politique parisien pour leur caractère monotone et répétitif — pour lesquels même les sculptures et les détails du décor en pierre sont fabriqués dans des ateliers organisés pré industriellement en tâches simples et répétitives.
En France la programmation sera institutionnalisée par la loi MOP de 1985. La réforme de l'ingénierie publique qui a eu lieu dans les années 1970 à 90’ se matérialisa dans un premier temps avec la loi sur l'ingénierie de 1973, puis par la loi MOP et différentes réformes du droit de la commande publique. La loi MOP consacre le terme de programmation architecturale qui depuis lors fut identifiée comme une façon de sortir d’une production architecturale standardisée, “programmes types”, tout en se donnant les moyens de contrôler les différentes étapes du projet architectural. La réglementation de la programmation en France ne doit pas cacher ses dimensions créatives qui sont celles de la conception architecturale. Souvent dans la période moderne la création dans le projet d’architecture est issue d'innovations programmatiques en rupture avec la demande du programme ou la typologie habituelle.
Les musées sont les exemples les plus connus de ce type de création programmatique. Le logement est un exemple plus rare ou plus limité dans son ampleur. Le Centre Pompidou est la référence même d’une rupture programmatique monumentale. Il a la particularité d’avoir été l’objet de la première programmation d’un bâtiment public en France, au début des années soixante-dix. Certes le texte du programme de ce projet en plein cœur du patrimoine parisien appelait une démarche innovante ; cette programmation, mise au point par Pierre Lombard et Patrick O’Borne, se voulait aussi innovante que le projet architectural et devait exprimer par des codes graphiques l’espace intérieur d’un centre d’art et de culture, rompant avec le modèle de l’espace muséal tel que conçu depuis son origine comme lieu de conservation et d’exposition d’œuvres d’art [31].
[27] Voir par exemple S. Ostrowetsky et S. Bordreuil, Le Néo-style régional. Reproduction d’une architecture pavillonnaire , Paris, Dunod, 1982.
[28] Éléments et théorie de l'architecture : cours professé à l'École nationale et spéciale des beaux-arts , J. Guadet, édition originale : 1901-1904.
[29] Pour une histoire de l’architecture des usines et des sites industriels, se reporter aux travaux de Vincent Grenier : « Au temps des maîtres de forges », A.M.C., n°30, mai 1973, pp. 2-13 ; ainsi que son Rapport sur les espaces industriels, ministère de l’Industrie et de la Recherche/C.S.E.C.I., Paris, novembre 1974 (reproduction partielle in : Architecture et Méthodologie, n° spécial, CERA/ENSBA, 1978).
Notons également que ce n’est qu’en 1975 que L’ANACT crée un concours d’architecture en relation avec une réflexion sur les conditions de travail dans l’industrie et le tertiaire (supra chap.1.III., thématique « Architecture industrielle et sociologie du travail »).
[30] Thèse d’Histoire contemporaine de Louis Mariani : Les règles de construction et d'ornementation architectonique des façades des immeubles parisiens de la seconde moitié du XIXe siècle , sous la direction de François Loyer, Versailles-St Quentin en Yvelines, 2006.
[31] Cf. Laurence-Maude Saint-Cyr Proulx, Le discours de l’architecture : analyse rhétorique du Centre Georges Pompidou, thèse de l’Université du Québec, Montréal , juin 2011.
En choisissant la programmation comme objet d’étude, Jean Zeitoun et le CIMA souhaitaient contribuer à la conception des instruments numériques nécessaires à l’exercice de cette créativité[32]. Concrètement Jean Zeitoun participera aux débats du Centre de Création Industrielle de Beaubourg et les deux architectes auteurs de sa programmation, P. O’Byrne et F. Lombard, interviendront ultérieurement dans les groupes de travail du CIMA[33]. Citons également à la fin des années 80’ l’exemple du Métafort au cœur de la Cité des Arts à Aubervilliers dont Jean Zeitoun pilotera le programme du Laboratoire, un centre de recherche multidisciplinaire pour les arts numériques. Pour répondre à la question « comment la dimension symbolique de l'espace occupé par le Métafort peut-elle être valorisée dans le cadre du projet culturel », Jean Zeitoun va élaborer le contenu d’un programme dédié aux technologies numériques [34]
[32] On se reportera à l’organisation du « Projet du Centre de recherche CIMA 1991 », §1.2 : Recherche appliquée - Thème 1 : élaboration du programme architectural (infra, Annexe D). Voir aussi : Dominique Clayssen , Philippe Meurice, «La programmation créative “ in: P. Achard et alii. (eds), « La programmation en pratiques », Recherches n° 25, Paris, Plan Construction et Architecture, ministère de l’Équipement, 1992.
[33] François Lombard a en particulier fait partie du groupe « Programmation architecturale et Urbaine » du programme de travail 1991 .
[34] « C’est Jean Zeitoun qui a conçu ce laboratoire de recherche-action » (Pierre Musso, « Le Métafort d’Aubervilliers, projet pour la rencontre art-sciences-techniques », in Quaderni n°21 : « Art et technique contemporains », automne 1993, pp. 141-156, note 11). Le programme définit le lieu moteur du Métafort que sera ce laboratoire, un espace de travail collaboratif où les artistes explorent de nouvelles idées et techniques. Il est équipé d'outils numériques et de matériaux de fabrication permettant la réalisation des projets, l’organisation d’ateliers et d’événements ainsi que la connexion et les échanges entre les artistes et le public tant en interne qu’à la périphérie du Centre culturel.
Voir aussi : Le Métafort d’Aubervilliers. Techniques contemporaines, création artistique et innovation sociale, sous la direction de Pierre Musso et Jean Zeitoun, éditions Charles le Bouil, collection « Travaux en cours », 1995.
II.4. Les images de synthèse
Il est pratique de baliser l’histoire naissante de l’informatique en la ponctuant, toutes les décennies, par l’émergence d’une innovation majeure. En simplifiant, il y eut d’abord l’informatique elle-même, puis les ordinateurs portables ou personnels et, dans les années 80, les nouvelles images, comme on serait aujourd’hui dans la décennie de l’intelligence artificielle. Ce découpage historique n’a pas beaucoup de sens du point de vue des technologies informatiques, mais il marque leur passage à des usages banalisés — un objet : le smartphone, un système informatique : l’internet et les réseaux sociaux — ou à celui d’une instrumentation conçue pour des professionnels au service du public, comme le scanner médical. L’image est entrée dans ce processus assez lentement vers la fin des années 70’ pour faire des années 1980-1990 la décennie des “nouvelles images”.
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La décennie image
L’image de synthèse, image simulant la réalité, apparait à la fin des années 70’ et succède à l’image vectorisée dans laquelle les objets sont représentés par des traits blancs (vecteurs) sur écrans verts de type oscilloscope ou radar. Au-delà du trait, la synthèse d’image permet de simuler toutes les propriétés d’un objet, donc de créer un simulacre voire un clone virtuel de l’objet. La modélisation mathématique de l’objet est réalisée par un tableau de points à autant de dimensions que de niveaux de réalités requis, (hauteur, largeur, profondeur, masse, couleurs, texture, éclairage, son, etc.). La complexité des calculs nécessite des processeurs graphiques spécialisés sous la forme de cartes graphiques. Au début des années 80’ Jean Zeitoun définira la carte graphique nécessaire à l’ordinateur du CIMA et la fera réaliser à l’extérieur. Aujourd’hui les cartes graphiques sont produites industriellement et sont un élément critique des ordinateurs pour des calculs complexes comme ceux que nécessitent la simulation ou l’intelligence artificielle.
Dans les années 80’, la France connaît un essor important dans le domaine qualifié alors de “nouvelles images” nommées plus tard images de synthèse et aujourd’hui images numériques. Plusieurs institutions en relation avec le CIMA, contribuent à ce développement telles l’INRIA, Télécom Rennes, l'École des Mines de Paris, le CNRS, l'université d’Orsay et de Nice Sophia Antipolis, l’ENSCI etc. Jean Zeitoun et les chercheurs du laboratoire participent aux nombreux événements sur l’image numérique parmi lesquels il faut citer le festival Imagina et le salon Micad en France, le SIGGRAF aux USA... Mais c’est, en 1981, le programme gouvernemental « Plan Image » de soutien de l'industrie française de l'image, qui a véritablement pérennisé la place de la France comme leader mondial dans ce secteur du numérique. Prévoyant le financement de projets de recherche et de développement ce plan a permis de créer des formations pour les professionnels, des écoles ou des laboratoires de pointe aussi bien que des lieux de communication et de découverte accessibles à tous.
Bien que le plan gouvernemental ne soit pas spécifiquement axé sur les images numériques, il a eu un impact significatif en modernisant les équipements de production audiovisuels et en encourageant la recherche et l'innovation dans le domaine de la technologie numérique. Le plan a également encouragé la coopération internationale, ce qui a permis aux entreprises françaises de travailler avec des partenaires étrangers pour développer de nouvelles technologies et de nouveaux produits.
L’image de synthèse n’est qu’une partie du domaine de l’image numérique et de l’explosion du phénomène dans cette décennie. Rappelons l’importance des interfaces graphiques : en 1984 le Macintosh propose pour les ordinateurs personnels un écran métaphore du bureau[35] avec des icônes outils de dessin, de traitement de texte, etc. Mais l’objet qui marquera définitivement le succès populaire de l’image numérique comme nouveau langage de communication, sera le premier appareil de photo numérique, également commercialisé en 1984.
Cette diversité des domaines investie par l’image informatique, Jean Zeitoun en indique très clairement l’origine [36]:
“La question du rapport entre l'image et le langage est au centre de notre propos. L'image dans son sens le plus général propose d'abord à son destinataire une appréhension globale, une compréhension visuelle et intégratrice de son contenu.
Le langage, terme que nous considérons dans son sens de code fonctionnel, opératif et par conséquent en tant que restriction sévère du langage naturel, articule des effets de sens par des énoncés formels. Or ces énoncés sont communicables à une machine, qu'elle soit matérielle ou virtuelle.”
L’image architecturale numérique offre un grand potentiel à la créativité individuelle ou collective. Même si, à l’opposé, elle présente le risque d’être le support d’une machine à banaliser l’espace architectural et urbain. Cela du fait que le statut de l’image de synthèse en architecture, sera souvent et à tort assimilée à celui d’une image analogique (vidéo, photographie, dessin, etc.) alors que l’image de synthèse est une image totalement calculée à partir d’un fichier qui est la modélisation numérique d’un objet réel ou abstrait.
Cette confusion est à l’origine des critiques de l’image numérique qui confortent, en architecture comme partout ailleurs, celles portées à « l’ère de l’image [37]». Au-delà de cette confusion, propre à toutes les innovations techniques, une toute autre perspective du devenir des images numériques a été imaginée au CIMA mais aussi par d’autres chercheurs en sciences de l’information et de la communication. Par exemple le philosophe Pierre Levy propose en 1991 d’imaginer, dans un futur incertain, « l’idéographie dynamique [38]». Ce nouveau langage, croisant textuel, graphique et intelligence artificielle, émerge avec force aujourd’hui, trente ans plus tard, en rupture avec des formes de communication millénaires.
[35] En 1970, le fabricant de photocopieur Xerox lance la recherche Xerox Park dont la mission est « Inventer le bureau du futur ». Doté de moyens importants et recrutant les meilleurs chercheurs, Xerox Park sera à l’origine de développements révolutionnaires pour l’usage généralisé de l’informatique. Xerox échouera à les valoriser, et d’autres recueilleront le fruit de ce travail, en premier lieu Apple qui créera le bureau pour le Macintosh...
[36] Les Nouvelles images. Introduction à l’image informatique, D. Clayssen, D. Lobstein, J. Zeitoun (Paris, Dunod, 1987).
[37] Cf. Daniel Bougnoux , « Il ne faut pas avoir peur des images », propos recueillis par Nicolas Journet, in la Communication, 2016, pp. 248-256.
[38] Le concept de l'idéographie dynamique a été imaginé en 1991 comme la possibilité d’une une écriture nouvelle. L'informatique des années 90, l’émergence de l’interactivité et des métaphores graphiques, le bureau, le pinceau, le tableur, etc., suggère à l’auteur la conception d'une écriture dynamique. Cette écriture ne signifie pas seulement par sa forme, ses caractères ou ses graphiques, mais aussi par son animation produite par des modèles d’interactivité, autrement dit par du dialogue homme/machine. Cf. Pierre Lévy, L'idéographie dynamique. Vers une imagination artificielle ? , Paris, La Découverte, 1991..
Les critiques de l’image de synthèse comme outil de banalisation de la conception architecturale appellent deux remarques. L’histoire de la conception architecturale est une histoire mondiale des influences des courants innovants : la renaissance italienne a influencé, transformé l’architecture française, au XIXe siècle l’École des Beaux-Arts a répandu dans le monde la culture néo-classique, puis les bâtiments de l’architecture moderne ont donné aux quartiers urbains des grandes cités une image commune — banalisation d’un « style architecture moderne » superbement illustré par le Playtime de Jacques Tati dans un plan de la séquence de l’aéroport où l’on voit les affiches des destinations touristiques de différentes capitales présenter la même façade verre et acier d’un bâtiment unique.
Ces exemples parmi d’autres possibles, affaiblissent les thèses de la banalisation actuelle de l’architecture du fait de l’instrumentation informatique dans les méthodes de conception contemporaine[39]. Mais, l’instantanéité des communications numériques ou physique font qu’en quelques années une ville peut changer et rappeler l’architecture d’une autre ville de l’autre côté du globe. Ce n’est pas le transfert de savoir-faire qui est en cause mais sa vitesse de propagation, le fait qu’il devient massivement visible en une fraction de génération. Aujourd’hui la rapidité des échanges et jusqu’à leur quasi-simultanéité est certainement à l’origine de la critique dévalorisante de banalisation attribuée à l’image numérique.
La deuxième remarque porte sur l’utilisation de l’image numérique en continuité avec la méthode Beaux-Arts. En architecture, le XIXe a vu l’enseignement de l’École des Beaux-Arts situer le dessin et donc l’image analogique au centre de l’enseignement de l’architecture. Plus précisément, pour le mouvement dominant de l’esthétique architecturale, cette image doit être générée par l’histoire de l’architecture monumentale, palais, édifices religieux et militaires. Le mouvement moderne dès la fin du XIXe et durant le XXe siècle critiquera cette position. Pour ce mouvement la conception du projet n’est plus fondée sur l’histoire mais sur les fonctions et les techniques constructives et aussi par les métaphores de la conception des objets industriels : la voiture, l’avion, le paquebot... Avec le XXIe siècle, le poids de l’image numérique dans la conception architecturale a provoqué un mouvement critique dénonçant un retour à la conception de l’image selon l’enseignement des Beaux-Arts.
Pour être juste cette critique devrait référer à un usage erroné de l’outil et non à sa nature. Aujourd’hui, et depuis les années 80, le modèle numérique n’est pas une maquette matérielle mais, pour paraphraser Umberto Eco une œuvre ouverte[40] qui permet de repenser le rapport du concepteur à l'œuvre : elle peut limiter, orienter ou mettre en valeur l'activité et l'effort que doit fournir celui-ci. Ne pas intégrer l’instrumentation informatique dans l’analyse du processus de conception , et comparer l’image Beaux-Arts et l’image de synthèse, relève du contre sens. Comme nous le montrerons dans les paragraphes consacrés à la physique de l’image (infra) l’écart numérique entre l’image de synthèse et l’image analogique[41] est une rupture fondamentale dont aujourd’hui on mesure l’impact avec une intelligence artificielle accessible à tous.
[39] Playtime fut tourné de 1964 à 1966, monté et distribué en 1967.
Cette remarquable analyse de la diffusion internationale du style « architecture moderne » rappelle, s’il en était besoin, que ni l’instrumentation informatique ni la C.A.O. , balbutiantes dans les années 60’, ni a fortiori l’image de synthèse alors quasi inexistante, ne sont à l’origine de cette banalisation des environnements urbains, de cette « perte de sens qui accompagne l’exigence, présumée fonctionnelle, du sériel et de l’indifférencié », selon la définition qu’en donne Françoise Michel-Jones (« Corps sensible et environnement urbain moderniste : à propos de Playtime de Jacques Tati », in Ateliers d’anthropologie, 46, Nanterre, 2019, https://journals.openedition.org:ateliers/11551.)
Voir infra l’annexe : « La banalisation des espaces construits selon Jacques Tati ».
[40] D’après le site « Lettres et Arts »
[41] Imaginaire numérique n°1, 1987, Jean Zeitoun : « Espace de l’image, espace dans l’image ».
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L’image informatique, continuité ou rupture.
Au CIMA, l’image en architecture est au centre des études sur la conception comme langage de communication mais aussi comme dispositif au même titre que la perspective ou la géométrie et ce d’autant plus avec l’image numérique. On peut lire le compte rendu des travaux de cette période dans un article de Madeleine Arnold, chercheuse au CIMA , publié en 1988 [42]. L’auteur rapporte les résultats d’une recherche — commanditée par la Mission de la recherche du ministère de la Culture[43] — qui , développant l’hypothèse « le texte crée l’image », s'interroge sur la nature et le fonctionnement du langage de création de l'image de synthèse animée ainsi que sur les améliorations qui pourraient lui être apportées par l'utilisation de techniques d'intelligence artificielle. Cette recherche carrefour se situe à l'intersection de disciplines et de pratiques qui ont leurs champs d'activité propres (infographie, création artistique, sémiotique). Madeleine Arnold conclut sur la faculté de l'écriture synthétique à capturer l'imaginaire de manière puissante. Les logiciels de synthèse permettent de générer des images qui abolissent les frontières entre différents éléments, créant un univers où tout est possible : les décors peuvent s'animer et les personnages sortir des tableaux, créant un monde de couleurs et de textures inconnues.
C’est peut-être cette fascination qui a longtemps fait hésiter à donner à cette image un nom : image vidéo, image numérique, image informatique, image de synthèse, image virtuelle... ; en 1980 c’est finalement le terme “nouvelles images” qui, en France, a effacé leur qualification technique au profit de leur qualité d’événement social et culturel. L’image de synthèse produit encore aujourd’hui un phénomène de fascination de la même intensité que le cinéma un siècle auparavant.
En 1986 Jean Zeitoun, synthétisant des travaux antérieurs, rédige l’avant-propos à la publication du dossier sur les images numériques réalisé au CIMA et édité en 1987[44]. Exposant la logique de présentation des fiches rassemblées — les bases d’un système graphique, la synthèse d’image, le traitement d’image, l’utilisation des nouvelles images — le texte traite de l’importance de l’instrumentation informatique dans le processus de conception :
« La nouveauté de ces images ne relève pas de leurs contenus mais plutôt de la manière de les produire, d’en concevoir la réalisation, de les conserver, les stocker et les diffuser. Autrement dit il s’agit d’abord du comment et non du pourquoi. (...)
On peut caractériser la nouveauté de l’image informatique par le fait que tout un volet de la connaissance scientifique et du savoir scientifique et technique a pris place entre l’auteur d’une image et le dispositif de sa matérialisation. » (1987, p.3)
Pour Jean Zeitoun, nous l’avons vu, les recherches menées au MMI puis au CIMA font l’objet de publications pédagogiques dont les équipes attendent un effet en retour pour l’évolution de leurs travaux. Ce n’est pas cette caractéristique que nous retiendrons de notre relecture de l’Introduction à l’image informatique mais bien, et Jean Zeitoun y revient à plusieurs reprises, l’inscription soulignée de cette nouvelle technologie dans un contexte sociétal qui en permet et stimule l’apparition et la communication : nouveaux besoins de la société industrielle, choix d’investissements financiers, règles de la compétition économique, mécanismes de domination et de pouvoir...
"L’essence de la technique n’est pas technique et sa légitimité procède d’attitudes culturelles et de projets de société. (...) Les moyens et dispositifs d’information et de formation deviennent des produits de consommation et peuvent éventuellement quitter les lieux, les rituels et les institutions où ils se trouvent souvent confinés. Tout cela ne présente pas de difficulté majeure au plan technique. Ce sont les choix de société et les marchés que les industries culturelles pourront ouvrir qui en donneront une version crédible dans les faits. » (1987, p.14-15)
Cette méthode d’investigation d’un processus de conception confrontant une technologie et les conditions économiques et sociales de son élaboration et de sa diffusion — c’est-à-dire ici le rôle que pourront avoir (nous sommes en 1986) les images de synthèse dans la création de produits culturels mais aussi dans la conception des lieux — est en tout point similaire à la méthodologie générale développée pour l’analyse des objets architecturaux. En effet si, pour Jean Zeitoun l’espace est toujours de société[45], de même les images de synthèse sont-elles construites dans un contexte déterminé et leur analyse rencontre les différentes logiques à l’œuvre dans les procès de conception[46], dont bien évidemment celle des rapports sociaux.
« Au-delà des enjeux industriels pour lesquels la concurrence internationale joue pleinement, les enjeux culturels subsistent. Sans une transformation notable des modes de travail et d’éducation, sans un changement qualitatif d’attitude vis-à-vis des technologies nouvelles qui brisent un certain nombre de barrières culturelles et sociales, on voit mal ce que peuvent être ces enjeux, sinon anecdotiques. » (1987, p.15)
[42] « L'image de synthèse animée » In: Communication et langages, n°77, 3ème trimestre 1988, pp. 58-81. doi : 10.3406/colan.1988.1056 http://www.persee.fr/doc/colan_03361500_1988_num_77_1_1056
[43] Langage de création et rhétorique de l’image de synthèse, sous la direction scientifique de Jean Zeitoun, avec Sabine Porada, chef de projet, Madeleine Arnold, Michel Bret, et la participation de Claude Lebrun, Dominique Lobstein, Christelle Robin. Mission de la recherche, Paris, 1986.
[44] Cf. les Nouvelles images, op. cit.
[45] Rappelons que Jean Zeitoun obtient en 1970 une maîtrise de sociologie à la Faculté de Paris-Censier (Sorbonne), option « sociologie urbaine », et qu’à la fin des années 70’, il soutiendra sa thèse de doctorat d’État en Urbanisme à Paris VIII Vincennes. De ses nombreuses références aux Sciences sociales nous retiendrons l’économie politique marxiste , les courants de la psycho-sociologie américaine, les travaux de l’école française de sémiologie et de linguistique. Si la sémiologie de l’espace d’une part, l’analyse marxiste de l’urbain et de la production des espaces construits d’autre part, ont structuré quelques-unes des recherches des années 70’ présentées dans le chapitre précédent, les enquêtes participatives et la dynamique des groupes sont davantage illustrées dans le présent chapitre.
[46] Se reporter à la section III : « les Thématiques » de notre texte consacré aux « Années 70’ ». Voir aussi P.A. Michel : « Systèmes de logiques et conception des espaces industriels », Techniques et Architecture , n°374, « Usines. Architecture et conditions de travail », p.41 .
Avec les images de synthèse, la dimension sociétale est incluse dans une méthodologie de la créativité comme elle l’était dans l’univers de la conception architecturale —qu’il s’agisse de conception de territoire industriels ou de lieux de travail, deux exemples des recherches dirigées par Jean Zeitoun dans les années 70’.
L’analyse du potentiel de la technologie informatique — qui met en évidence une problématique « rupture versus continuité » de la créativité artistique — présente un double ancrage sociétal :
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D’une part, le développement de cette activité « culturelle » suppose que la société « dispose ou se donne les moyens de disposer des instruments et des concepts qui fondent et contribuent à la mise en œuvre de ses projets. »
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D’autre part, sa généralisation nécessite une « capacité d’intervention stratégique aux plans économique et politique et nos sociétés industrielles ne sont pas à l’abri d’une lutte pour la puissance et pour le contrôle des infrastructures nouvelles de l’ère de la communication. » (1987, p.15)
Ainsi, parce qu’elle inclut une théorie du social, la démarche méthodologique de Jean Zeitoun permet d’évoquer, dès la fin des années 80’, les risques du traitement des images à l’échelle des sociétés industrielles, et de conclure sinon à la nécessité de leur contrôle du moins à l’importance de leur encadrement. Cela pour éviter que des intervenants — groupes et/ou monopoles privés, lobbys et/ou organisations politiques... — développent des stratégies de contrôle et de déstabilisation des pouvoirs en place. Imaginons qu’à l’exemple des réseaux sociaux lieux de violents conflits, la conception des plans d’aménagements urbains, la destination des secteurs d’occupation des sols, la conception des programmes d’équipements publics, deviennent accessibles à des groupes agressifs. Imaginons aussi, une poignée de compagnies mondiales construisant ou reconstruisant toutes les villes du monde grâce à des générateurs de projets développés avec l’intelligence artificielle...
Évoquant souvent ces risques [47], Jean Zeitoun met l’accent sur la diffusion et la communication de l’image de synthèse dans la société et non sur des performances techniques. Pour lui la logique technico-économique de la création par la synthèse et la simulation visuelles offre de nouvelles perspectives culturelles et la possibilité de reconstruire virtuellement le monde. Cependant dit-il, il est essentiel d'examiner également cette question sous un angle philosophique, en réfléchissant à l'impact de ces technologies sur notre compréhension et notre expérience de la réalité[48] .
Position responsable à laquelle font écho de nombreux débats actuels, juridiques, politiques..., et économiques bien sûr. Citons par exemple l’article de William Audureau relevant, dans le Monde numérique du 3 mai 2023, que la mise en ligne de la nouvelle version du logiciel Midjourney (une IA génératrice d’images) peut nous faire entrer dans une ère de désinformation visuelle : « David Holz, le président de Midjourney qui a conquis 14 millions d’utilisateurs en un mois, a admis auprès du magazine The Verge, que la modération de la plate-forme était ‘’difficile’’ [49].» Citons également la guerre qui oppose Microsoft à la Competition and Markets Authority (CMA), l’autorité britannique de la concurrence, l’enjeu étant à terme le monopole de l’univers des gamblers et le contrôle du cloud gaming [50]. Notons enfin que quatre ans plus tôt, en septembre 2019, étaient recensées sur le web pas moins de 1500 vidéos « fabriquées » à des fins de désinformation, soit le double du comptage de septembre 2018 ; multiplication dont la reproduction probable menaçait déjà de rendre très vite impossible le repérage et l’analyse des « déclarations officielles » utilisant ce support [51].
Ces exemples n’ont d’autre valeur que d’illustrer la situation au moment de l’écriture du présent article (été 23); leur pertinence est ponctuelle : le statut et le devenir des images numériques justifiera évidemment d’autres références. L’important est que le principe d’un potentiel socialement décisif de cette nouvelle technologie ait été énoncé par Jean Zeitoun comme une conséquence naturelle de la méthodologie suivie.
[47] Voir en particulier l’article « C.A.O. ? » de 1987 dans le Bulletin de l’IFA, op.cit.
[48] Les nouvelles images, op.cit., p.63.
[50] Voir l’article de Chloé Woitier dans le Figaro de l’économie du 24 avril 2023 : « Call of Duty, World of Warcraft et Candy Crush jouent leur avenir devant l’antitrust anglais ». Moins d’un mois plus tard, la Commission européenne donnait son feu vert au rachat d’Activision Blizzard par Microsoft (les Échos du 15 mai 2023) pour un montant de 69 milliards $.
[51] Article des Échos du 16 octobre 2019.
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La physique de l’image
Souvent dans ses textes mais aussi dans ses interventions au sein du CIMA, Jean Zeitoun pose une problématique très simplement, par exemple :
"Les nouvelles images, quelles ruptures et quelles continuités introduisent-elles ?"
Les ruptures entre les images informatiques et la représentation traditionnelle apparaissent de manière évidente, seul le temps de les admettre varie. Les continuités sont plus difficiles à déceler. L’exploration, la validation et la compréhension des continuités de conception entre les images analogiques et les images numériques exigent un cadre d'étude, de nombreuses observations et des méthodes expérimentales
Ce cadre, Jean Zeitoun le définit comme la “Physique de l’image”[52] comme il existe une physique du son et une physique de tous les phénomènes réels qui sont numérisés. Il introduit ce faisant une rupture fondamentale entre l’image analogique et l’image numérique, non en termes de qualité technique mais comme produit de pratiques résolument différentes :
- L’image perspective accompagne les dessins du projet pour une meilleure communication entre l’architecte et les nombreux acteurs du projet.
- La cartographie codifie les représentations à toutes les échelles. A l’échelle de la ville les bâtiments sont représentés par des formes géométriques et des couleurs simples renvoyant à une légende.
- En architecture la représentation en trois dimensions réalistes exige une représentation des détails en relation avec la position de l’observateur mais aussi de la saison, de la météo, de la qualité des matériaux, etc.
Cette physique de l’image de la perception du monde réel n’a jamais été formulée par les mathématiques. L’artiste, l’architecte utilise depuis toujours une technique instrumentale quelconque[53] — le dessin, la peinture, la photographie, l’holographie..., et avec les années 80’, l’instrumentation informatique.
Avant l’informatique, note Jean Zeitoun,
« (...) l’image n’est pas explicable par un modèle générateur (…) l’image est un fait, une narration, une réalité. »
L’univers numérique exige au contraire une modélisation mathématique, pour produire une image réaliste ou une image conforme à la conception du projet architectural. Il faut calculer tous les éléments nécessaires à la compréhension et à la perception d’une image de synthèse.
Ainsi la question de l’échelle de la représentation des détails issue de l’expérimentation, a permis à l’ équipe « image » du CIMA (supra, note 44) de réaliser pour une chaîne de télévision française les premiers décors numériques de l’opéra La Serva Padrona [54]. L’image a été un objet de calcul, un objet numérique, une modélisation, susceptible de rendre compte de la perception, des impressions d’un spectateur, d’un usager. Ce qui est calculé n’est pas la nature du matériau qui sera construit mais la nature de la texture de matériau qui sera perçu à 1000 m ou à deux mètres de nuit ou de jour par des personnes, des habitants, des visiteurs, des acheteurs, des travailleurs...
La réelle nouveauté de la synthèse d'images dans la création artistique et dans sa perception culturelle, ne se mesure probablement pas en termes de qualité technique ou de performances graphiques.
« Ce sont plutôt, à travers les types de pratiques des images, des échanges et des formes de communications qu'elles induisent que se constituera une matière artistique contemporaine[55]. »
Nous verrons plus loin que c’est en mettant en place un observatoire construit autour de trois types d’études et de recherches que Jean Zeitoun a organisé les travaux du CIMA sur les interactions entre ces nouvelles images et la conception architecturale : la scénographie intelligente.
[52] Cf. Jean Zeitoun, Dominique Clayssen : A la conquête d’un nouveau monde, Cahier technique du Pixel n°10, 1991, chapitre : « Éléments d’une physique de l’image ».
[53] Ibid. p.40.
[54] Exemple développé par Madeleine Arnold in : « l’Image de synthèse animée », op.cit.
[55] Nouvelles images, op.cit., p.63 : « Faire une image informatique ».
2.V. Réorganisation du CIMA, les derniers projets
Fin 89 le service de la recherche architecturale du ministère de la Culture demande à Jean Zeitoun de présenter un projet de réorganisation du CIMA en articulation avec les activités d’enseignement et de recherche sous la tutelle du ministère (les UPA, Unités Pédagogiques d’Architecture). Un premier texte de janvier 90 présente un ‘’plan de travail’’ à l’intention des équipes du CIMA. Ce plan systématise en quelques lignes le fonctionnement de ce que doit être un centre de recherche idéal :
« Ce projet doit refléter clairement notre méthodologie du développement et de la recherche ».
Et de fait c’est bien le principe théorique de la « recherche-action » de Kurt Lewin qui est ici illustré, le CIMA étant explicitement une expérimentation de cette méthodologie de la recherche. On retrouve dans ce plan les objectifs des travaux des décennies 70 et 80 et l’on notera que, dans son §B, l’enchaînement des sous-projets reflète le schéma de l’utilité attendue — principe de production des connaissances présenté dans notre précédent texte consacré aux années 70’ — étroitement associé aux schémas cycliques figurant la « recherche-action »[56].
[56] Ce point est précisé dans l’annexe B, ci-après : « Kurt Lewin et la recherche-action ».
PROGRAMME DE TRAVAIL DE L'EQUIPE:
CHERCHEURS, TECHNICIENS, ADMINISTRATIFS
Le dossier à présenter fin 1991 sera le projet du centre de recherche ; il sera composé de l'ensemble des sous-projets présentés ci-dessous.
A. Introduction
Projet introductif : rappel sur les enjeux historiques, scientifiques et stratégiques du CIMA (rappel de sa finalité) :
- originalité,
- pluridisciplinarité (info, archi, psycho, socio, ...)
- et nécessité : au carrefour de trois domaines en mutation continue:
-
Professionnel (architecture),
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Recherche (informatique)
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Enseignement d'où : la durée de vie d'un tel laboratoire n'est pas dépendante d'un seul projet scientifique.
Ce projet doit refléter clairement notre méthodologie du développement et de la recherche.
B. Ensemble des sous-projets
I - Projet scientifique: recherche fondamentale orientée, appliquée, expérimentale
II - Projet de développement expérimental et de prestations
III - Projet de gestion du centre de documentations et de publications
IV - Projet de communications et de relations externes (nationales et internationales) - collaboration et partenariat avec d'autres laboratoires de recherche (écoles universités, CNRS) :
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séminaires, conventions, réception de stagiaires doctorants ou de DEA, échange de savoir-faire, échange de chercheurs, professeurs invités, etc.
-
réseaux, conférences, etc.
V - Projet de budget :
- besoins Homme: vacation, bourse, traduction, déplacement, formation
- besoins Matériel: machine, logiciel, reproduction, etc.
Fin 89 le service de la recherche architecturale du ministère de la Culture demande à Jean Zeitoun de présenter un projet de réorganisation du CIMA en articulation avec les activités d’enseignement et de recherche sous la tutelle du ministère (les UPA, Unités Pédagogiques d’Architecture). Un premier texte de janvier 90 présente un ‘’plan de travail’’ à l’intention des équipes du CIMA. Ce plan systématise en quelques lignes le fonctionnement de ce que doit être un centre de recherche idéal :
« Ce projet doit refléter clairement notre méthodologie du développement et de la recherche ».
Ce programme de travail sera développé dans le dossier de fin 91 réalisé avec les équipes et dont nous donnons un plan plus détaillé ci-dessous en annexe D. Le plan présente un projet d’évolution de l’organisation versus une organisation matricielle qui consistait à faire travailler sur un même projet l'ensemble des membres de l'équipe. Le contenu était en continuité avec les décennies précédentes : aborder l'informatique pour l'architecture non pas à partir des produits (logiciels de C.A.O.) alors disponibles mais par la notion d'environnements multidimensionnels et multimédia :
“Du fait de la remise en cause générale du CIMA, il paraît judicieux de repenser complètement l'environnement informatique de travail en fonction des évolutions du marché (des matériels et logiciels informatiques) et des thèmes traités[57]. »
[57] Citation extraite des « Documents de concertation », du Projet 91, § G.2.2. Ces documents seront présentés dans un prochain chapitre consacré aux travaux des années 90’.
ANNEXES du CHAPITRE 2
A) Publications
● IMA N°2 janvier 1981
- Fin de l’approche purement fonctionnelle en C.A.O., Sabine et Mikhael Porada
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Archisémiothéorie 1, Emmanuel Crivat
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Informatique et société , Dominique Clayssen
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The computer ages: a twenty years view, Michael L. Dertouzos, M.I.T. Press
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Club du Silicium, Forum des Halles
● IMA N°3 Mars 1981
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Environnement urbain et théâtralisation de la conception architecturale, A. Rappaport
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Archisémiothéorie 2, Emmanuel Crivat
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Le système L.S.E
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Utilisez le programme Calque du CIMA
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Informatique et société - échos de la presse
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Bourse d’échange de programmes
B) Kurt Lewin et la recherche-action
Jean Zeitoun dans l’organisation de ses laboratoires comme dans l’énoncé du déroulé d’un programme de recherche fait implicitement référence à la « recherche-action » (action research), terme attribué à Kurt Lewin qui l’utilisa dans les années 40’ pour caractériser ses propres travaux (cf. « Action Research and Minority Problems (1946) », in Resolving social conflicts and field theory in social science, American Psychological Association (ISBN 1-55798-415-8, lire en ligne [archive]), p. 143–152).
Paraphrasant Lewin qui définit la recherche-action comme une « recherche comparative sur les conditions et effets de différentes formes d'action sociale et de recherche menant à l'action sociale », nous dirons que, chez Jean Zeitoun, le projet du CIMA est bien de mener une recherche comparative sur les conditions et effets des différents modèles d’analyse de l’espace et des systèmes architecturaux, analyse menant à l’élaboration d’une théorie des méthodologies de conception des espaces.
Autrement dit, si Jean Zeitoun place sa démarche de création et d’animation de centres de recherche dans les pas de la « recherche-action », c’est qu’il veut en inscrire très précisément le déroulé dans celui développé par Kurt Lewin : une « série d'étapes constituées chacune d'un cycle de planification, action et évaluation (fact-finding) des résultats de l'action ».
Le cycle ici évoqué — planification, action, évaluation des résultats de l’action — trouve ses parfaites illustrations aussi bien dans le cycle
« Recherche à Séminaire à Publication à Recherche »,
traité dans notre précédent chapitre à la section « Principe de l’utilité attendue », que dans le déroulé des 4 phases du « Projet 91 pour la réorganisation du CIMA » ( voir annexe D, ci-dessous).
C) La banalisation des espaces construits selon Jacques Tati
Dans Playtime (1967) comme déjà dans Mon oncle (1958), Jacques Tati a travaillé sur la mutation du paysage et des styles de vie urbains des années 50’ à la fin des années 60’, et montré « d’une caméra behavioriste » combien « l’architecture et l’urbanisme modernes (...) présupposent des usagers adaptés aux simulacres, aux reflets, aux transparences comme aux injonctions formelles qui dissolvent la singularité de lieux devenus ‘’espaces’’. »
« Le cadre bâti extérieur (buildings, aéroport) ou intérieur (cellules des bureaux, pièces des appartements) manifeste l’exigence de la transparence, de la ligne droite, de l’orthogonalité des plans caractéristiques du style internationale en architecture qui revendiqua longtemps l’adéquation, pensée comme rationnelle, de la fonction et de la forme. » (Les citations sont extraites de Françoise Michel-Jones, « A propos de Playtime de Jacques Tati », op.cit.)
Cette « exigence fonctionnelle » du sériel et de l’indifférencié génère pour le Hulot de Playtime une perte de sens associée à la banalisation des lieux — clonés, non identifiés, non identifiables. Le concept de banal tel que l’a défini Sami Ali — « (...) du point de vue de la fonction, le banal est une règle adaptative qu’on applique à la lettre pour aboutir au typique. » (Cf. le Banal, Paris, Gallimard, coll. « Connaissance de l’Inconscient », 1980, p.195.) — est pris ici par Françoise Michel-Jones dans une démarche anthropologique appliquée à l’environnement urbain.
D) Projet 91 d’un nouveau centre de recherche (CIMA 1991)
1. Projet scientifique
Domaine: Aide à la conception architecturale
1.1 Recherche fondamentale orientée
Axe 1: Méthodologie et analyses des processus de conception architecturale
Étude de l'évolution de la relation d'interdépendance entre outils et méthodes d'aide à la conception (Groupe de travail constitué des chercheurs du CIMA et des chercheurs de l'Université de Paris VIII, l'INRIA et le CNAM).
A1.1 : Recherche sur l'aspect multidimensionnel de l'environnement de conception architecturale: parole, texte, image, dessin .
A1.2 : Sémiologie et psychologie cognitive et l'aide à la conception: formalisation, processus conceptuel .
Axe 2: Ingénierie de connaissance
A2.1: Acquisition, apprentissage, représentation et traitement de connaissances impliquées dans la conception architecturale en vue de les intégrer dans un système informatique .
A2.2 : Langage naturel et l'aide à la conception
1.2 Recherche appliquée
G1: Groupe Méthodes
Objectif: Recherche sur les caractéristiques d'un futur système d'aide à la conception architecturale; analyse de l'existant et prospective.
G1.1: Thème 1. Traitement et élaboration du programme architectural (aide à l'analyse du programme architectural et l'élaboration du programme personnel) .
G1.2 : Thème 2. Élaboration d'hypothèses et de solutions (Rôle de l'image dans le processus de conception)
G2: Groupe ingénierie informatique (génie logiciel)
Objectif: définir et gérer l'environnement informatique de base
G2.1 : Thème l: Gestionnaire de communications, chercheurs CIMA et relations externes.
G2.2: Thème 2: Choix et application d'un Atelier de Génie Logiciel
G3: Groupe traitement de l'information.
Objectif: Prise en compte des caractéristiques de futurs systèmes d'aide à la conception; développement et définition des architectures des systèmes adéquates
G3.1 : Thème 1: Gestion des données, traitement et interrogation des bases documentaires.
G3.2 : Thème 2: Synthèse d'image, interprétation et manipulation des données géométriques .
G3.3: Thème 3: Simulation et gestion des données dynamiques .
G3.4 : Thème 4: Résolution du problème et apprentissage .
2. Projet de développement expérimental et de prestations
D1 : Groupe I : Image de synthèse: IKO.
D2 : Groupe 2 : Génie linguistique: Attirail.
3. Projets gestion de documentations et de publications
DOC: Système documentaire
4. Projet de Communications et relations externes
Objet: Trois volets : les relations avec la recherche et l'enseignement, les séminaires et conférences et enfin la formation professionnelle.
- Retombées pédagogiques (DESS, Mastère, DEA, CEAA, projets DPLG)
COM 1: Relations laboratoires, écoles, universités
COM 2: Conférences et Séminaires
- Retombées industrielles: stagiaires-professionnels, formation.
COM 3: Manifestation, participation.
5. Projet Budget
BDG1: Matériels et logiciels
BDG2: Personnel (Vacations, déplacements)